août 27, 2025
Le 23 juillet 2025, le Groupe de travail sur le commerce, les marchés et les revenus, créé au sein du Comité international de planification pour la souveraineté alimentaire (CIP), a organisé un webinaire mondial afin de faire avancer une analyse et une vision collectives pour un nouveau système commercial fondé sur la souveraineté alimentaire (cadre commercial alternatif).
Coordonné par La Via Campesina et le ROPPA (Réseau des paysans et des producteurs agricoles de l’Afrique de l’Ouest), avec le soutien de Focus on the Global South et Terra Nuova, cet événement a réuni près de 120 participants de tous les continents. Le webinaire a permis d’examiner comment le système commercial international actuel nuit aux petits producteurs alimentaires, aux pêcheurs, aux migrants et aux économies locales, et de proposer collectivement un cadre alternatif fondé sur la souveraineté alimentaire, la justice, l’internationalisme, le multilatéralisme et la solidarité.
Contexte et intentions
Organisé en amont du prochain Forum mondial Nyéléni au Sri Lanka, le webinaire visait à élaborer une stratégie politique commune entre les mouvements populaires, les organisations de la société civile et leurs alliés.
Dans son discours d’ouverture, Dieudonné Pakodtogo, du ROPPA (s’exprimant au nom du président du ROPPA, Ibrahima Coulibaly), a remercié les participants et souligné l’urgence d’un cadre commercial centré sur les réalités des petits producteurs alimentaires. Il a insisté sur l’importance de mettre en œuvre des politiques publiques réalisables pour soutenir et renforcer les systèmes alimentaires durables, garantissant ainsi la souveraineté alimentaire et nutritionnelle dans la région. Il a également salué l’opportunité de participer à un dialogue collectif et inclusif.
Critique du système commercial actuel
Shalmali Guttal, de Focus on the Global South, qui coanimait la session avec Morgan Ody, de La Via Campesina, a rappelé aux participants que depuis la création de l’OMC en 1995, les luttes populaires menées par les travailleurs, les paysans, les peuples autochtones, les pêcheurs, les migrants et la société civile dans les pays du Sud et du Nord ont réussi à bloquer l’Accord sur l’agriculture (AoA) de l’OMC. Pourtant, l’architecture commerciale et d’investissement qui profite aux entreprises et aux élites reste intacte, renforcée par les institutions financières mondiales et de nouvelles formes de contrôle des entreprises.
Le Rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation, Michael Fakhri, a délivré un message vidéo dans lequel il a qualifié l’AoA de « non seulement obsolète, mais aussi nuisible ». Il a expliqué que le régime commercial actuel encourage les exportations alimentaires au détriment des systèmes alimentaires locaux, favorisant l’accaparement des terres au profit des entreprises transnationales. Conçu pour favoriser les pays industrialisés, qui peuvent subventionner leur agriculture, il prive les pays dépendants des importations des outils nécessaires pour stabiliser les revenus ou les prix des agriculteurs. En traitant les denrées alimentaires comme de simples marchandises, le système ignore leur importance culturelle, sociale et écologique.
D’autres intervenants ont repris cette critique, identifiant l’OMC et les accords de libre-échange (ALE) bilatéraux comme les forces centrales derrière l’agriculture orientée vers l’exportation, l’accaparement des terres et des océans et l’aggravation de la pauvreté rurale. Ces accords renforcent les injustices structurelles : ils encouragent la production destinée à l’exportation plutôt qu’à la consommation locale, permettent aux pays riches de subventionner l’agro-industrie tout en limitant les protections dans les pays du Sud, et réduisent les denrées alimentaires à des marchandises échangeables, les privant ainsi de leur valeur culturelle, spirituelle et relationnelle.
Impacts de la libéralisation du commerce
Les témoignages des communautés touchées ont révélé l’impact dévastateur des politiques commerciales et des systèmes alimentaires dirigés par les entreprises.
Terence Repelente, de PAMALAKAYA et du Forum mondial des peuples pêcheurs (WFFP), a décrit comment les règles de l’OMC ont décimé la petite pêche aux Philippines. La libéralisation des codes de la pêche et l’Accord sur l’agriculture ont ouvert les marchés aux importations bon marché, déplacé les pêcheurs traditionnels et encouragé une aquaculture orientée vers l’exportation et contrôlée par des capitaux étrangers. Les négociations actuelles de l’OMC sur les subventions à la pêche traitent le poisson comme une marchandise industrielle, ce qui permet la surpêche par les grandes flottes tout en criminalisant les petits pêcheurs dans le cadre de dispositifs imparfaits de lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN). Le WFFP rejette fermement l’autorité de l’OMC sur la pêche et appelle à une gouvernance par des organismes inclusifs tels que le Comité des pêches de la FAO.
Mercia Andrews, de l’Assemblée des femmes rurales (RWA) en Afrique du Sud, a souligné que les femmes, qui jouent un rôle central dans la production alimentaire et la préservation des semences, sont systématiquement marginalisées. Le manque d’infrastructures, d’accès à la terre et de marchés viables, combiné à la domination des supermarchés et des chaînes de restauration rapide, érode les systèmes alimentaires traditionnels. Elle a appelé à investir dans les marchés locaux, à soutenir les coopératives agricoles et à résister fermement à la transformation du système alimentaire menée par les entreprises.
Lorena Macabuag, du Forum des migrants en Asie (MFA), a souligné que les régimes commerciaux néolibéraux alimentent les migrations massives en démantelant les économies rurales et les filets de sécurité sociale. Beaucoup migrent par désespoir. Les travailleurs migrants dans l’agriculture et la transformation alimentaire sont victimes d’exploitation, de bas salaires et d’exclusion des protections juridiques, alors qu’ils sont essentiels aux systèmes alimentaires qui les ont déplacés. Le MFA a affirmé que la migration doit être un choix, et non une stratégie de survie imposée par des systèmes injustes.
Sam Ikua, de la Coalition internationale pour l’habitat, s’exprimant depuis Nairobi, a apporté le point de vue des consommateurs urbains et périurbains. Il a appelé à un système commercial inclusif qui respecte les droits des producteurs et des consommateurs, renforce les systèmes alimentaires locaux et réduit la dépendance à l’égard des importations bon marché et des aliments transformés.
Dieudonné Pakodtogo, de la ROPPA, a réaffirmé que les pays africains peuvent se nourrir eux-mêmes, mais que les politiques commerciales sapent la production nationale, inondent les marchés d’importations et laissent les femmes productrices alimentaires sans rémunération et invisibles. Il a exigé la transparence dans les négociations commerciales, une participation significative de la société civile, des indicateurs plus solides pour la souveraineté alimentaire et nutritionnelle, et des mesures pour protéger les revenus et la dignité des producteurs.
Au-delà de l’OMC : proposer un nouveau cadre fondé sur la souveraineté alimentaire
Une partie importante du webinaire a été consacrée à l’élaboration d’un nouveau système commercial fondé sur la souveraineté alimentaire.
Morgan Ody, de La Via Campesina, a présenté les éléments d’un projet de cadre inspiré de la Déclaration des Nations unies sur les droits des paysans (UNDROP). Elle a souligné le potentiel d’institutions telles que la FAO et la CNUCED pour offrir des espaces de dialogue et de gouvernance plus démocratiques que l’OMC.
Depuis la conférence ministérielle de l’OMC en 2022, La Via Campesina plaide en faveur d’un processus mondial visant à établir un cadre alternatif. Après des années de consultations internes, le mouvement a élaboré une série de propositions initiales, qu’elle a présentées en invitant à une contribution et à une collaboration plus larges.
Les points clés du projet de cadre sont les suivants :
- Principes fondamentaux : le commerce doit donner la priorité aux droits des personnes, des communautés et des écosystèmes plutôt qu’au profit. Sur la base de la définition de la souveraineté alimentaire donnée par Nyéléni, le cadre doit être conforme aux droits humains et appliquer des principes cohérents au sein des pays et entre eux.
- Souveraineté démocratique : chaque pays doit avoir le droit de définir ses propres politiques alimentaires et agricoles. Les institutions des Nations unies telles que la FAO, le CSA et le FIDA doivent soutenir ce droit.
- Commerce régional : le commerce doit donner la priorité aux chaînes d’approvisionnement régionales, et non transcontinentales, afin de raccourcir les systèmes alimentaires et de stabiliser les marchés.
- Marchés équitables : les petits producteurs doivent avoir accès à des mesures de soutien des prix et à des garanties de revenus. La protection du travail, des salaires équitables et un observatoire public pour la transparence des prix sont essentiels.
- Interdiction des pratiques néfastes : le dumping, les subventions aux entreprises agroalimentaires et le commerce spéculatif doivent être interdits.
- Monnaie et solidarité : le commerce doit dépasser la dépendance aux monnaies dominantes, soutenir des échanges équitables et rejeter la dette néolibérale et l’aide conditionnelle.
- Défense des biens communs : le commerce doit protéger la terre, l’eau, la biodiversité et les biens communs ; faire progresser la réforme agraire ; et favoriser une gestion collective, autochtone et agroécologique, libre du contrôle des entreprises et des stratégies de « greenwashing ».
Morgan a proposé que La Via Campesina soumette ces idées au 3e Forum mondial Nyéléni pour discussion et développement collectif. Elle a également souligné que la prochaine réunion ministérielle de l’OMC au Cameroun (mars 2026) constituait une occasion unique non seulement de résister aux politiques de libre-échange, mais aussi de promouvoir cette alternative concrète.
L’universitaire et militant Raj Patel a apporté un éclairage historique et politique, soulignant que les règles commerciales mondiales actuelles découlent des déséquilibres de pouvoir enracinés dans l’effondrement de la Charte de La Havane et la mise à l’écart du Nouvel Ordre Économique International. Si le déclin de l’hégémonie américaine ouvre de nouvelles possibilités, il a mis en garde contre les fausses alternatives telles que les BRICS, qui risquent de simplement reproduire des modèles dominés par les entreprises. Il a appelé à une vision transformatrice qui résiste à la fois à l’effondrement climatique et aux paradigmes économiques militarisés.
Vers Nyéléni et au-delà
Tout au long du webinaire, les intervenants ont souligné que la justice commerciale ne peut être dissociée des luttes plus larges pour la justice climatique, la justice de genre, la souveraineté économique et le contrôle démocratique. La construction d’un nouveau système commercial ne se résume pas à des politiques, il s’agit d’un transfert de pouvoir.
Le prochain Forum Nyéléni a été identifié comme un espace essentiel pour approfondir la convergence entre les mouvements, affiner les propositions et faire avancer une stratégie mondiale commune en faveur de la souveraineté alimentaire.