novembre 25, 2025
Pour la onzième fois depuis sa ratification, l’Organe directeur du Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (TIRPAA) se réunit pour évaluer son fonctionnement et l’état d’avancement de sa mise en œuvre. La réunion, qui s’est ouverte à Lima le 24 novembre, rassemble des délégués de 155 pays, ainsi que des observateurs issus d’organisations d’agriculteurs, d’ONG, du monde universitaire et de l’industrie semencière. Les organisations d’agriculteurs et de peuples autochtones, représentées par le Comité international de planification pour la souveraineté alimentaire (CIP), participent avec une délégation de 14 personnes venues du Pérou, du Guatemala, du Mali, de France, d’Australie, de Nouvelle-Zélande, du Mexique et d’Italie.
Les enjeux sont d’une importance vitale pour l’avenir du Traité et sa raison d’être même. Cet accord international, approuvé en 2001, a été créé dans le but de garantir un accès facile aux semences de 64 espèces végétales présentant un intérêt particulier pour la sécurité alimentaire, conservées dans les banques de gènes des pays signataires.
Ces collections de ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (RPGAA), qui comptent aujourd’hui environ 2,6 millions d’échantillons, ont été initialement conservées, reproduites et fournies par (ou collectées auprès de) des agriculteurs du monde entier. Elles représentent une source considérable de biodiversité agricole, dont le code génétique contient les connaissances traditionnelles de ceux qui les ont cultivées, en les adaptant aux territoires, aux contraintes climatiques et biotiques.
L’accès facilité à ce réseau de banques de gènes et d’instituts de recherche, connu sous le nom de Système multilatéral (MLS), nécessite la signature d’un contrat (accord type de transfert de matériel – ATTM). Les chercheurs publics ou industriels qui ont l’intention d’utiliser ces ressources pour développer de nouvelles variétés sont tenus de ne pas breveter les ressources génétiques obtenues à partir du Système multilatéral, leurs parties et leurs composants. L’accès facilité à ces ressources doit toujours être garanti, alors que les droits de propriété intellectuelle le restreindraient, en violation de l’article 12.3d du Traité.
Toutefois, les semences prélevées dans le Système multilatéral peuvent contribuer au développement de variétés commerciales privatisées qui ne restreignent pas l’accès aux RPGAA d’origine. Dans ce cas, les entreprises qui utilisent les ressources génétiques de cet espace « commun » doivent reverser une partie de leurs bénéfices à un Fonds de partage des avantages (BSF) géré par l’Organe directeur du Traité. Les fonds collectés doivent être utilisés pour financer des projets locaux de conservation de l’agrobiodiversité.
Cependant, cette architecture n’a jamais fonctionné. Si l’accès a été largement utilisé, avec 7 millions de transferts de ressources génétiques enregistrés en 2025, il n’y a pas eu de contributions correspondantes. En raison de nombreuses lacunes juridiques et d’interprétations différentes du Traité, seules 800 000 dollars américains ont été versés par les entreprises qui ont accédé au Système multilatéral depuis 2009. 36 millions supplémentaires ont été fournis sous forme de dons par certains gouvernements et autres institutions. Les bénéficiaires des projets sont les banques de gènes et les ONG, tandis que les fonds ne parviennent presque jamais directement aux organisations d’agriculteurs, pour lesquelles il est très difficile de postuler à des projets.
Le manque de traçabilité dans le transfert des semences qui peut se produire après le premier accès au Système multilatéral est l’un des problèmes qui rend impossible de comprendre qui doit payer pour l’utilisation du matériel génétique collecté et à quel moment. Pire encore, il n’est pas possible de vérifier qui obtient des brevets sur les caractéristiques génétiques des échantillons du MLS qui restreindraient l’accès aux ressources génétiques qui les contiennent, en violation du Traité.
Avec l’application croissante de ce qu’on appelle « l’intelligence » artificielle aux opérations biotechnologiques, la numérisation de l’ADN contenu dans les formes de vie est devenue une pratique courante, et les semences du Système multilatéral ne font pas exception. Les chercheurs qui les utilisent pour leurs travaux publient les séquences d’ADN numériques dans leurs études et les téléchargent dans des bases de données en libre accès sur Internet, sans aucune obligation d’indiquer leur origine. Des millions de séquences d’ADN numériques, y compris celles correspondant à des ressources physiques gérées selon les règles du Traité, peuvent ainsi être téléchargées et utilisées pour identifier des caractéristiques présentant un intérêt commercial, créant ainsi des semences modifiées brevetées. La réticence des pays d’Amérique du Nord, ainsi que de l’Union européenne, de l’Australie, du Japon et de la Corée, a bloqué pendant des années la reconnaissance des informations sur les séquences numériques (DSI) comme composante des ressources génétiques, pour lesquelles le Traité interdit le brevetage lorsqu’elles sont incluses dans le Système multilatéral.
Cette énorme lacune juridique permet aux entreprises de contourner les règles de l’ITPGRFA et de breveter ses ressources génétiques sur la base de leur équivalent numérique. La preuve en est fournie par les données publiées par le réseau des centres internationaux de recherche agricole (CGIAR).
Ces brevets alimentent l’accélération exponentielle de la concentration du marché des semences entre les mains des plus grandes entreprises mondiales telles que Bayer-Monsanto, BASF, Syngenta et Corteva.
L’organe directeur du Traité est donc appelé à résoudre cette incompatibilité entre la biopiraterie numérique, qui se développe à mesure que les DSI sont téléchargées dans des bases de données en libre accès, et le droit international. Les travaux menés par un groupe intersessions composé de délégués gouvernementaux, auquel le CIP a participé en tant que partie prenante, ont abouti à un ensemble de mesures qui devraient améliorer le fonctionnement du système multilatéral. Toutefois, ces mesures sont faibles et insuffisantes, et sont proposées parallèlement à une demande des pays riches visant à inclure toutes les ressources génétiques pour l’alimentation et l’agriculture dans le MLS réformé, ce qui va bien au-delà de la liste des 64 espèces actuellement couvertes.
Selon ces gouvernements, l’augmentation de la « dotation » du SML encouragerait les entreprises à y accéder plus fréquemment et à payer les redevances dues lors de la commercialisation de variétés incorporant ce matériel génétique. Toutefois, en l’absence d’une interdiction claire (exprimée dans l’accord ATTM et reflétée dans la législation nationale) de breveter les RPGAA correspondantes (ce à quoi ces mêmes pays s’opposent), cela conduirait à une expropriation et à une privatisation massives de l’agrobiodiversité par le secteur privé, contournant ainsi l’article 12.3d.
En outre, les droits des agriculteurs de conserver, d’échanger et de vendre leurs propres semences, reconnus par le Traité lui-même à l’article 9 et déjà violés dans de nombreux pays, seraient irrémédiablement compromis dès lors que les caractères génétiques contenus non seulement dans le MLS, mais aussi dans leurs « parents » cultivés dans les champs, tomberaient soudainement sous le coup d’un brevet obtenu par une entreprise sur les informations numériques correspondantes.
C’est pourquoi le CIP est à Lima dans le but de lutter contre l’extension du MLS à toutes les ressources génétiques pour l’alimentation et l’agriculture contenues dans les collections des banques de gènes, en demandant que les brevets sur les DSI contenus dans ces ressources soient d’abord interdits au niveau national et international. Ce n’est qu’alors, lorsque le MLS sera devenu un lieu sûr, que les organisations d’agriculteurs seront disposées à discuter de son extension.
La Convention sur la biodiversité (CBD), sœur du traité qui régit au niveau international l’accès et le partage des avantages pour les ressources génétiques autres que celles présentant un intérêt agricole et alimentaire, a décidé de séparer la gestion des DSI de celle des ressources génétiques physiques, en créant un fonds volontaire pour collecter l’argent du partage des avantages que les entreprises utilisatrices des DSI « devraient » financer. Si la réglementation internationale ne s’attaque pas à ce problème, nous assisterons à une augmentation des brevets sur les DSI des ressources génétiques. Le Traité est aujourd’hui le dernier rempart pour construire une approche différente de la réglementation des DSI et le CIP fera tout son possible pour que cela se produise.
Regarder toutes les interventions du CIP