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L’aquaculture industrielle n’est pas la solution à la sécurité alimentaire

juin 3, 2025

En mai 2025, une délégation du CIP a participé à la 13ᵉ session du Sous-Comité de l’aquaculture (COFI:AQ XIII). Cette session s’est concentrée sur l’élaboration de politiques mondiales pour l’aquaculture, en particulier en lien avec les Lignes directrices sur l’aquaculture durable (GSA), approuvées par le COFI en 2024. Dans le cadre de la Strategie  sur la transformation bleue de la FAO (2022-2030), les GSA sont rapidement devenues un point de référence central pour les politiques d’aquaculture, définissant les principes et pratiques qui devraient guider le processus d’intensification et d’expansion durable de l’aquaculture au niveau national.

Cependant, le CIP a exprimé des préoccupations alors que les États membres du COFI:AQ XIII ont réaffirmé la nécessité de développer l’aquaculture industrielle pour la sécurité alimentaire. Bien que les nouvelles lignes directrices adoptées contiennent certains éléments relatifs à la durabilité environnementale de l’aquaculture, des inquiétudes subsistent quant à leur impact sur la situation sociale et économique des communautés de pêcheurs.

L’aquaculture est l’un des secteurs alimentaires connaissant la croissance la plus rapide au XXIᵉ siècle. Selon le rapport SOFIA 2024, la consommation mondiale de poissons d’élevage a dépassé celle des poissons capturés. Lors du COFI:AQ XIII, de nombreux pays ont manifesté leur volonté d’investir, d’étendre ou de développer leur secteur aquacole. Les discussions ont porté sur l’intégration de l’économie circulaire, les aliments alternatifs pour poissons, les partenariats public-privé, la collaboration entre les universités, les États, les investisseurs et les producteurs, ainsi que la promotion des systèmes de cogestion. L’aquaculture à petite échelle a également été reconnue, notamment en lien avec la numérisation et l’accès au financement pour les producteurs des pays en développement.

Cependant, les pêcheurs et les mouvements autochtones savent par expérience que l’ajout du mot « durable » à une industrie orientée vers l’exportation, motivée par le profit et destructrice pour l’environnement et les communautés, ne la rend pas réellement durable. Pour le Groupe de travail pêche de CIP et ses organisations membres — notamment le Forum mondial des pêcheurs et des travailleurs de la pêche (WFF), le Forum mondial des peuples pêcheurs (WFFP), le Conseil international des traités indiens (IITC) et La Via Campesina (LVC) — ces discours sont profondément préoccupants. Le consensus atteint au COFI:AQ XIII, qui positionne l’aquaculture comme une solution aux changements climatiques, à la surpêche et à la sécurité alimentaire, reflète une tendance mondiale à privilégier les industries agroalimentaires motivées par le profit aux dépens des moyens de subsistance et de la Souveraineté Alimentaire des petits pêcheurs et des Peuples Autochtones.

Représentant des millions de petits pêcheurs et de peuples autochtones dans le monde, le Groupe de travail pêche de CIP alerte depuis longtemps sur l’expansion agressive et incontrôlée de l’aquaculture industrielle sous couvert de durabilité. Le CIP a dénoncé l’influence croissante des entreprises et du capital financier dans les politiques d’aquaculture. Dans de nombreux cas, les États ont affaibli les réglementations nationales pour favoriser la croissance industrielle, au détriment des droits des communautés côtières et continentales. Les conséquences sont graves : déplacement des populations, érosion des systèmes fonciers coutumiers, absence de consentement libre, préalable et éclairé, augmentation de la pauvreté et de la marginalisation, et violations continues des droits humains — autant de réalités qui contredisent les principes des Lignes directrices volontaires de la FAO pour assurer la durabilité de la pêche artisanale dans le contexte de la sécurité alimentaire et de l’éradication de la pauvreté (Lignes directrices PPE).

Le CIP s’oppose fermement au modèle industriel de monoculture en aquaculture, avertissant qu’il menace les écosystèmes marins et d’eau douce. La pollution générée par les fermes piscicoles — incluant antibiotiques, pesticides, plastiques et substances cancérigènes — est liée à la perte de biodiversité, à la création de zones mortes dans les océans, et à de graves risques pour la santé humaine. Ces effets néfastes étaient largement absents du discours enthousiaste autour de l’aquaculture en tant qu’« économie circulaire » et « opportunité de développement » au COFI:AQ XIII. Dans ces discussions, l’aquaculture a été présentée comme une solution gagnant-gagnant, promettant profit, sécurité alimentaire et respect des droits humains.

Nous, le Groupe de travail pêche du CIP, appelons les gouvernements à inverser ces tendances et à prendre des mesures immédiates pour faire respecter les droits humains, protéger les régimes fonciers coutumiers et les droits collectifs, et prévenir la dégradation écologique des écosystèmes marins et d’eau douce. Ces revendications ne sont pas nouvelles : elles sont conformes aux engagements pris par les États membres de la FAO en 2014 lors de l’adoption des Lignes directrices PPE.

Pour cette raison, le CIP a récemment revitalisé la structure du Cadre stratégique mondial pour la pêche artisanale (PPE-CSM), visant à donner aux détenteurs de droits un espace pour suivre et orienter la mise en œuvre des Lignes directrices SSF. La collaboration avec les gouvernements pour les mettre en œuvre via des Plans d’action nationaux (PAN) est une étape essentielle pour reconnaître le rôle crucial de la pêche artisanale et des Peuples Autochtones dans la gestion des écosystèmes et la protection de la biodiversité, tout en défendant les droits humains et en promouvant la Souveraineté Alimentaire.